Oeuvre de M. C. Escher

jeudi 16 août 2012

L'atout





I

Nathan Sheppard était assis dans cette rame du métro New-Yorkais, absorbé par son journal. Il reçut un SMS, le consulta puis rangea son téléphone dans la poche droite de son manteau gris. Sa rame s’arrêta à sa station habituelle, il prit son sac à dos noir, et sortit de la station, un bonnet noir fiché sur la tête. Il changea de morceau sur son iPod, optant pour quelque chose de plus pêchu, en espérant que ça l’aiderait à supporter le froid de ce mois de décembre. Il continua à avancer jusqu’à cet immeuble entièrement vitré qu’il connaissait si bien. Après avoir franchi la porte, il se dirigea vers l’ascenseur et opta pour le 27ème étage. Juste avant que la porte coulissante ne se referme, une femme rousse entra brusquement, lui fit la bise et engagea la conversation : 

" - Bonjour Nate, pas chaud aujourd’hui ? "

Il sourit avant de répondre : 

" - Et ceux qui parlent de réchauffement climatique… Au fait tu tombes bien Juliet, pour notre petite partie de 12h, je crois que je ne pourrais pas, on peut la reporter à 18h si tu veux bien ? " 

La rousse fronça des sourcils de la même couleur et lui jeta de ses yeux verts un regard amusé : 

" - Tu as un rendez-vous quelque part ? Tu t’es enfin trouvé une fille, elle est canon au moins ? 

- Mais tu sais bien que toi seule compte ma grande !! " répliqua-t-il pour la taquiner. 

Même si Nathan se cachait derrière son humour, sa phrase recelait tout de même une once de vérité. Et il espérait que ce sentiment était réciproque, il est vrai que leurs longues parties de tarots passées avec deux autres collègues, les avaient rapprochés. 

La porte s’ouvrit au 27ème étage. Nate et Juliet filèrent droit vers leurs postes respectifs. M. Sheppard était programmeur informatique depuis bientôt dix ans. La crise économique n’avait pas épargné leur petite start-up, la forçant à se délester d’une partie de son personnel. Et les rumeurs sur son avenir allaient bon train : certains parlaient d’une nouvelle vague de licenciements, quand d’autres évoquaient un possible rachat. Des noms de grandes marques telles que Google ou Apple circulaient. Mais Nathan essayait de se voiler la face en s’enfermant dans la sécurité du train-train quotidien. 


II 

Il était bientôt midi, quand la pause déjeuner sonna. Nate se dépêcha de sortir car son temps était compté : sur son heure de libre, il lui fallait manger en vingt minutes maximum. Il opta donc pour un service de restauration rapide, puis pris un taxi en direction de Central Park. Une fois sur place, il fit quelques mètres avant de tomber sur ce qu’il cherchait : le restaurant italien semblait convenir. Il poussa la porte et interpella le réceptionniste : 

" - Excusez-moi Monsieur, je souhaiterais réserver une table pour deux personnes, pour demain soir. 

- A quel nom dois-je mettre la réservation ? demanda le réceptionniste, un stylo à la main 

- Sheppard, avec deux p. 

- Bien monsieur, bonne journée et à demain ! " 

Nate ressortit et se dirigea vers son deuxième point d’intérêt : un fleuriste. Il s’assura que des roses puissent être livrées le soir même au domicile de Juliet avec le message suivant : 

" Il faut toujours avoir un atout dans la main ". 

Il appela un taxi et se mit en route pour son boulot. En chemin il reçut un SMS qu’il consulta. 

III 

Juliet, François, Georges et Nate étaient assis dans un petit café typiquement new-yorkais. Georges avait commandé son habituelle tarte à la myrtille et Juliet son éternel thé glacé, une boisson bien inhabituelle en cette saison. Le tarot était un jeu européen assez méconnu aux États-Unis. C’était François, ce français expatrié à New-York qui leur avait fait découvrir ce jeu de cartes. Et très vite une petite communauté s’était créée, petite communauté qui jouait tout de même trois fois par semaine, et ce depuis bientôt deux ans et demi. Il faut dire qu’ils étaient tous bons amis. Cette fois-ci Juliet gagna, grâce à un atout. Ils avaient décidé d’un commun accord de ne jamais rien miser de réel, pour conserver cet esprit « amical » qu’ils appréciaient tant dans ces rencontres. Et c’est pour cela que Juliet ne toucha pas les quelques cent dollars qu’elle avait gagnés. Comme à l’accoutumée, ils se séparent : Georges et François partant chacun de leur côté tandis que les deux autres faisaient un bout de métro ensemble, ce qui n’était pas pour déplaire à Nate. 

" - On le dira jamais assez, mais heureusement que l’on ne mise rien de réel, parce qu’avec cette foutue crise… " 

Elle le regarda avec bienveillance et dit : 

" - Tu voudrais pas parler d’autre chose que du boulot ou de la crise Nate ? Le stress n’est pas vraiment bon pour la santé je te signale. 

- Oui excuses-moi. Ben j’ai justement ce qu’il nous faut, ça te dirait d’aller au restaurant Italien demain soir ? C’est moi qui t’invite ! " 

La manœuvre était risquée de sa part, mais il était quasiment sûr qu’elle accepterait et c’est pour cela qu’il avait déjà réservé. 

Elle le regarda déconcertée : 

" - Pardon ? Qu’est-ce que tu me fais ? Tu ne crois pas que c’est un poil cliché ? " 

Il ne s’attendait pas à une telle réaction de sa part et tenta donc une autre approche : 

" - En toute amitié bien sûr ". Malgré la surprise et son changement de plan, il n’avait pas bronché, c’est peut-être ce qui décida Juliet. 

Il reçut un nouveau SMS. 


IV 

Il commençait à s’impatienter. Elle avait une vingtaine de minutes de retard, mais il se bornait à l’attendre pour commander, ne serait-ce qu’un verre d’eau. Il reçut un MMS qu’il consulta. Il blêmi l’espace d’un court instant, commanda finalement un verre d’eau et repris des couleurs. Elle finit par arriver, vêtue d’une belle robe verte. C’était la couleur préférée de Nate. Elle s’assit et dit rapidement : 

" - Oh excuse-moi Nate, un problème avec le métro. La rame avait du retard… Vraiment désolée, tu me pardonnes ? " 

Il sourit, et se força à rire : 

" - Y a pas de mal, l’essentiel est que tu sois là ! 

- Tu as commandé ? 

- Non, mais le serveur nous recommande ses cannellonis, ils seraient divins. " 

Les cannellonis étaient en effet divins, tout comme la soirée. Ils discutèrent deux bonnes heures de tout et de rien. Apparemment Juliet était en train de lire un thriller assez fascinant, une sombre histoire d’agents dormants. Ça parlait de tueurs qui vivaient leurs vies normalement jusqu’à ce qu’on leur attribue une cible. Nate buvait ses paroles. Et puis vint le dessert, et l’addition. Il lui proposa de la raccompagner chez elle. Ils prirent le métro, puis finirent à pied. Arrivé devant sa porte, Nate posa son sac à dos et dit : 

" - Au fait tu as reçu mes fleurs ? 

- Tu avoues donc ton méfait ? Oui elles sont très belles. Que dirais-tu d’aller les voir à l’intérieur ? " 

On sentait une certaine excitation dans son regard émeraude. Nate quant à lui était étrangement impassible. Pour seule réponse il plongea sa main dans son sac à dos et en sorti un pistolet muni d’un silencieux.
Juliet était pétrifiée. 

Il tira deux fois, ramassa son sac et repris sa route, tout en envoyant un SMS. 

On a la confirmation de l’atout, cible éliminée. 





mardi 14 août 2012

Guajira Guantanamera



I

Une Firebird rouge de troisième génération s’arrêta devant l’immeuble. Le conducteur ouvrit la boîte à gants et en sortit une paire de gants en cuir dont il se vêtit. Il ouvrit la portière et posa un pied à terre puis l’autre. Il portait une paire de rangers noirs, un short kaki et un débardeur blanc. Notre chauve, malgré son léger embonpoint, se déplaçait rapidement. Il composa le code d’entrée et attaqua le couloir d’une démarche assurée. Tout en avançant, il plongea la main droite dans la poche de son short et en ressorti un silencieux, qu’il fixa consciencieusement sur un Glock 17 extrait de son holster. Il imprima à la culasse un mouvement de va et vient permettant de placer une balle dans la chambre et déverrouilla le cran de sureté, avant de remettre l’arme dans son étui. Il se rapprochait de l’appartement 23, et ôta en conséquence ses lunettes à branches métalliques, si emblématiques des policiers des années 80’. Il frappa à la porte. Une jeune femme brune lui ouvrit, elle était vêtue d’une simple robe blanche. Elle était manifestement surprise de le voir, mais compris trop tard en lisant dans le regard du chauve. Elle le supplia avec un fort accent latino-américain : 

" - Diego, por favor, no haz est… " 

Il l’envoya valser dans la table en bois à l’aide de sa puissante main. La jeune femme était sonnée, du sang sortait de sa lèvre inférieure. Elle eut tout le temps de voir Diego sortir son arme et presser la détente de sa main gauche. Il tira trois fois. Puis il rengaina son arme, et se mit à ramasser les trois douilles tombées au sol. Il reparti aussi sûrement qu’il était arrivé, en cachant ses yeux noisettes derrière ses Ray ban. Il s’assit dans sa Pontiac rouge, rangea son arme et ses gants dans la boîte prévue à cet effet. Puis il introduisit la clef, mis le contact et chercha une station radio intéressante. Il porta son choix sur Guajira Guantanamera interprétée par Joseíto Fernandez. Diego et sa Pontiac se désintégrèrent instantanément dans un nuage de flammes et de fumées. 



II 

" - Et merde je suis verni… Encore ce fichu repas n°6, Pete tu le veux ? 

- Ouais vas-y envoie ! lui dit l’homme qui se tenait à sa gauche. 

- Pedro, on t’entend pas ce soir, repris le grincheux, tu ne pourrais pas nous jouer un morceau ? 

- Va pour Guajira Guantanamera " dit-il avec un accent latino tout en s’emparant d’une guitare Taylor. 

Les deux hommes écoutèrent Pedro, qui se ne débrouillait pas si mal que ça avec sa guitare. Le feu de bois faisait danser des ombres sur leurs visages respectifs. Un peu plus en contrebas d’une plage de sable fin, et au niveau des premières vagues, il y avait quatre plongeurs dissimulés par l’obscurité. Ils ôtaient consciencieusement leurs systèmes de respiration à circuit fermé et sortaient des G36 ainsi que des FAMAS de leurs sacoches étanches. Les quatre hommes-grenouilles, menés par un certain Dubreuil s’avancèrent discrètement en direction du poste de garde. En clin d’œil les trois gardent étaient maîtrisés et mis hors d’état de nuire. Les nageurs, issus du commando Penfentenyo, avaient pour mission de sécuriser cette petite creek de Louisiane en vue d’un débarquement plus ambitieux. Le poste de commandement ennemi était à une petite centaine de mètres de là. Le commando français se mis en route. Après quelque temps, ils purent enfin distinguer, à travers leurs dispositifs intensificateurs de lumière, les premières patrouilles ennemies. Il y avait beaucoup plus de monde que ne prévoyait le renseignement opérationnel. Soudain un tir jailli de nulle part, touchant un des hommes. Le commando se jeta à terre et Dubreuil essaya désespérément d’avoir un visuel sur le tireur. Il se déplaça vers la gauche pour rejoindre son opérateur longue-portée, mais celui-ci était également touché. Les tirs fusaient dorénavant de toutes les directions. Dubreuil ordonna le repli, mais son dernier homme se fit également toucher. Des unités ennemies approchaient rapidement. C’est à ce moment-là Dubreuil senti une douleur intense à son épaule droite. Il savait ce qu’il fallait faire. Il se leva les mains en l’air, posa son arme à terre. La bille d’airsoft qui l’avait touché signifiait la fin de l’exercice. 



III 

Miles mordit abondamment dans le hamburger, duquel sortit un mélange de fromage fondu, de mayonnaise et de ketchup : 

" - Cht’echplique, dit-il, cht’afais chuste aucune fance toi et ch’tes hommes (il avala bruyamment), nous chez les Delta Force on aligne un cerf qui coure à la carabine à 200 mètres. Cherchez pas les froggies, vous ferez mieux la prochaine fois. 

- C’était donc un de vos S.N.I.P.E.R., répliqua Dubreuil, l’acronyme de Soldat Nul Inutile Planqué Et Râleur ? 

- Ahah très drôle Frenchie, enfin je dois admettre que tu as de bons goûts en matière de films. 

- C’est quoi la suite du programme ? demanda un collègue de Miles. 

- Demain on… " 

Il fut interrompu par le haut-parleur du mess des officiers qui cracha en anglais : 

" Le Lieutenant Dubreuil est demandé au bureau du colonel Sheppard ! " 

Le français se leva et se dirigea rapidement vers le bureau qui était situé après un petit couloir donnant sur le mess. Dubreuil commençait un peu à en avoir marre des américains et malgré la bonne ambiance de l’exercice interarmées, il souhaitait ardemment rentrer chez lui à Lyon. 

Sheppard était assis à son bureau, à sa droite se tenait un homme au teint basané. 

" - Bon Dubreuil, je ne vais pas y aller par quatre chemins, on a une grosse merde… Un de nos agents vient de se faire descendre à Cuba. Le problème c’est qu’il devait participer à échange de dope dans une semaine et… qu’ils ont sa description physique… 

- Et laissez-moi deviner, je lui ressemble ? dit-il avec un sourire fourbe. 

- Vous êtes loin d’être cons dans l’hexagone… Bref vous partez pour La Havane, avec Rodrigo ici présent, il vous servira de guide. " 

Les deux hommes étaient dans une file d’attente à l’aéroport de Miami. Rodrigo n’avait pas décroché un mot de tout le voyage depuis La Louisiane. 

" -Bon écoute vieux, va peut-être falloir qu’on s’entende un minimum… Pour la 17ème fois, je m’appelle Joseph, je viens de Lyon, et toi bon sang de bois tu as bien une vie ? " 

Il consentit à répondre un truc que Dubreuil n’oublia jamais. 

" - Si Señor, je suis originaire du quartier de Los Sitios à la Havane. C’est de là qu’est Joseíto Fernandez. " 


IV 

La qualité de la caméra n’était pas des meilleures, mais au moins elle filmait en couleur. Une femme brune, vêtue d’une robe blanche s’approcha de la porte. Elle jeta un coup d’œil par le judas et consenti à ouvrir la porte. Un homme chauve, vêtu d’un débardeur blanc et d’un holster entra. Elle semblait le connaître. Là un homme roux en peignoir fit irruption. La femme s’interposa rapidement entre le chauve et le roux. Mais le chauve l’envoya contre la table à l’aide de sa main gauche. Le roux tenta de s’emparer d’un couteau trônant sur la table, mais il était trop tard. Il s’effondra, deux balles dans le cœur et une dans la tête. Le chauve ramassa les trois douilles et s’en alla nonchalamment. Quelques minutes plus tard et la brune sursauta : 

" - Qu’est ce qui s’est passé ? demanda Dubreuil. 

- Le tueur chauve vient d’être pulvérisé. On avait piégé sa bagnole… " 

La brune repris ses esprits et se précipita sur le corps du roux. La vie avait quitté son regard bleu. Puis elle se rapprocha de la caméra et l’image se coupa. 

" - Voilà c’est tout ce qu’on a, repris Juan, le chef des opérations locales. La fille s’appelle selon nos renseignements Carmen. Le chauve était apparemment son frère… Depuis la mort de notre agent, on a perdu sa trace. Je ne comprends pas comment il a pu y rester si facilement, déjà c’était un maniaque des caméras, mais en plus il était loin d’être mauvais, bordel… 

- Mais qu’est ce qu’il foutait chez la sœur d’un tueur à gage ? 

- On pense qu’il avait pris contact avec le cartel via Carmen, et quelqu’un a cafté… Comme on vous l’a surement dit aux states, notre agent devait prendre contact dans cinq jours pour acheter 30 kilogrammes d’héroïne pure, expliqua le chef. 

- Et vous voulez m’envoyer là-bas avec une couverture grillée ? 

- Techniquement, mis à part le commanditaire et la fille, personne n’était au courant de l’identité de notre agent. 

- Vous êtes surs que la fuite ne vient pas du Cartel ? 

- Non car notre agent a reçu deux jours après sa mort un courriel, avec le lieu et la date du rendez-vous. 

- Ça sent le piège à plein nez… 

- Évidemment, et alors ça vous dérange, señor Fernandez ? " dit Juan, avec un sourire en coin. 



Joseíto Fernandez était né à Madrid il y a 37 ans. Il était roux, et avait été l’objet de moqueries depuis sa plus jeune enfance. Ce qui le poussa à devenir un dur à cuire par la suite, touchant au trafic de drogue. Dubreuil trouvait cette couverture des plus idiotes, mais il n’avait guère eu le choix. Son taxi cubain, avec une paire de dés pendant au rétroviseur, parcourait les rues crasseuses de La Havane. Il était conduit par Rodrigo et s’arrêta dans une petite ruelle adjacente, Fernandez en descendit en demandant au chauffeur de l’attendre. Il avait rendez-vous au numéro treize, heureusement le faux madrilène n’était pas superstitieux. Il frappa trois fois comme convenu. Un homme d’une vingtaine d’années lui ouvrit, et lui intima de se laisser faire. Fernandez fut fouillé de la tête aux pieds. Puis on le conduit dans un petit salon cosy. Un vieux 33 tours passait un succès de son illustre homonyme. Enfin un homme aux cheveux grisonnant daigna entrer. 

" - ¡ Holà Señor Fernandez ! Je me suis permis de rendre hommage à votre homonyme comme vous l’avez sûrement remarqué. 

- Oui, j’en suis touché, merci. 

- Mais dites-moi, Señor, jouez vous d’un quelconque instrument ? demanda l’homme en prenant place dans un fauteuil. 

- Oh non, et j’en remercie le ciel. Le peu de flûte que j’ai pratiqué étant jeune a suffisamment horripilé mon entourage ! 

- Oh je vois, prenez donc un verre de ce délicieux rhum. (Il lui tendit également un cigare de La havane). Et voilà ce pourquoi vous êtes ici, j’ai trente kilogramme de ces délicieux cigares. Mais je vous en prie, examinez le, Señor. " 

Fernandez sorti un canif de sa poche, incisa le cigare et goutta la poudre. Il opina de la tête et repris la parole : 

" - Je vois que la qualité est toujours au rendez-vous, quand pourrais-je obtenir la marchandise ? 

- Et bien elle se trouve dans un petit entrepôt, situé deux pâtés de maison plus loin. Mon homme de main va nous y conduire, dites à votre chauffeur de nous suivre avec l’argent. " 


VI 

Devant l’entrepôt tout se passa très vite, trop peut-être au goût du français. L’homme de main ouvrit la porte et fut accueilli d’une décharge de plomb. Dubreuil se retourna vers son chauffeur, Rodrigo, mais celui-ci se contenta d’abattre l’homme aux cheveux grisonnant. Là Dubreuil reçu un coup sur la nuque. 

Juan réveilla Dubreuil d’une grande gifle. Le lyonnais était ligoté dans un entrepôt, éclairé par une lampe au plafond dont la lueur était très faible. Il entendait la mer, toute proche. Dans ce dernier étaient entassés une dizaine de cadavres. Joseph Dubreuil reconnu les membres du Cartel qui l’avaient accueilli. Juan, siffla, et un homme chauve fit son apparition par une porte. Il portait lui aussi un débardeur blanc et un short kaki. Mais à la différence de son sosie sur la vidéo, il était manifestement droitier (Dubreuil le remarqua quand il ferma la porte). Il réussit à articuler en espagnol : 

" - Mais t’es pas censé être mort to… " 

Un coup de poing au plexus l’empêcha de finir sa phrase. Puis suivi une série de coups à des endroits plus douloureux les uns que les autres. Au bout d’un temps que Dubreuil ne réussit pas à estimer, il s’arrêta, sur l’ordre d’une voix féminine. Le chauve quitta l’entrepôt alors qu’elle se rapprochait du français. Elle était manifestement brune, avec une robe blanche… 

Elle lui susurra à l’oreille, dans un français parfait 

" - Oh mon pauvre, Paulo ne t’a pas arrangé… Quel dommage de devoir se débarrasser de quelqu’un d’aussi compétent que toi, et d’aussi bien fichu. " 

Le français, entre deux reprises de souffle, réussit à articuler le mot « pourquoi ?». 

" - Il est vrai que tu as le droit de savoir, poil de carotte… Je travaille pour une organisation, disons, non gouvernementale, mais à but exclusivement lucratif. Et un agent français vaut son petit pesant d’or mon choux. Évidemment si l’autre avait été un peu moins débile, il aurait été à ta place… Qu’est-ce qu’il a été facile de le droguer… Puis il nous a donc fallu infiltrer votre petite cellule cubaine. Moyennant quelques morts, ce fut un jeu d’enfants. Tu peux voir d’ailleurs ici les corps d’un certain Juan et là d’un certain Rodrigo. Quant au Cartel, il ne faisait pas le poids. 

- Et… (Il émit un râle), par…curiosité…vous avez combien de…chauves ici ? (Il la regarda dans les yeux). 

- La curiosité française m’avait presque manqué. (Elle réarrangea ses cheveux courts). A l’origine il y avait deux frères jumeaux, Diego et Paulo, mais malheureusement (elle jeta un œil à la porte), Diego était un peu trop curieux… Il a donc fallu le faire, hum… disparaître, lui et sa Pontiac. Dommage, c’était un modèle collector. 

- Et…maintenant ? dit-il entre deux quintes de toux. 

- Maintenant mon chou, un bateau va t’extraire vers les eaux internationales. Après tu n’es plus sous ma responsabilité, alors pas de bêtises. " 

Rodrigo frappa à la porte et entra. 

" - Señora Carmen, le bateau est là ! 

- Bien Rodrigo, va les aider à accoster et ramène moi Paulo. Toi Juan file moi ton arme s’il te plaît. " 

Juan lui tendit son Beretta modèle 1992. Elle vérifia qu’il y avait une balle dans la chambre et déverrouilla le cran de sûreté. 


VII 

Le Zodiac quitta le navire accosté au large et s’approchait rapidement des côtes cubaines. Ses occupants remarquèrent rapidement un hélicoptère MH-60 qui les suivait. Il n’était pas immatriculé. Un des occupants s’empara d’un fusil d’assaut AK-47, mais une balle de 7,62 mm le stoppa net. Le second occupant tenta de ramasser l’arme mais le sniper avait réarmé la culasse de son M40A1 et fit feu. Le troisième occupant stoppa le navire, brandissant une chemise blanche. Le Black Hawk se mit en vol stationnaire et trois hommes en noir en descendirent à l’aide de cordes. Le marin était toujours en joue, lorsqu’un des hommes en noir le désarma, lui enfila de force un gilet de sauvetage et le fit basculer à la mer. 

"- Les gars, il est grand temps d’y aller, on a rendez-vous dans une petite heure, dit un certain Miles. 

- Ouaip, et enfilons leurs vêtements pour passer plus inaperçu ", surenchérit un autre Delta Force. 


VIII

Le propre des appareils respiratoires en circuit fermé était de ne pas émettre de bulles, dues au rejet de Dioxyde de Carbone. En effet depuis la surface, la sentinelle de « l’organisation non gouvernementale à but lucratif » ne décelait aucun clapotis. Elle fut rapidement maîtrisée, de la manière la plus efficace et silencieuse possible, si caractéristique des commandos marine français. Les trois hommes en combinaison néoprène prirent place à l’entrée Nord de l’entrepôt, alors qu’au Sud un zodiac s’approchait du ponton. Le « top opération » provint du zodiac. Les commandos marine commencèrent alors une approche moins subtile en neutralisant trois sentinelles à l’aide de leurs armes munies de silencieux. Ils s’approchèrent de la porte Nord de l’entrepôt cible et y placèrent une charge explosive. Ils attendaient le signal qui ne tarda pas. Deux coups de feu retentirent. 

IX 

Le faux Rodrigo pestait intérieurement contre Carmen. Il avançait sur le ponton en direction du zodiac. Il espérait bientôt pouvoir rentrer chez lui au Brésil et enfin revoir sa femme et son unique enfant. Mais il s’interrompit dans ses pensées, quelque chose n’allait pas. Les occupants du bateau avaient manifestement maille à partir avec le garde du ponton. Puis il entendit deux coups de feu provenant de l’entrepôt derrière lui, une explosion. Et les coups fusèrent en provenance du bateau. Le garde fut tué instantanément et Rodrigo blessé au ventre. Il s’effondra, puis vit trois hommes en noir, équipés de gilets par balles et de casques surgir du bateau en direction de l’entrepôt. 


" - Oh mon petit Paulo te voici, sache que tu m’as extrêmement déçu. Je te croyais différent de ton frère, mais en fait non. Je voulais que tu saches que c’est moi qui l’ai fait rôtir dans sa Pontiac et je peux te garantir que ça m’a procuré un de ces plaisirs ! " déclara Carmen, en prononçant chaque mot distinctement. 

Le chauve essaya de dégainer mais s’écroula, une balle dans la tête. 

" - Parfait Juan, on continue comme prévu. Au fait, non, petit changement de plan, vieux. " 

Elle le tua d’une autre balle dans la tête. Quelques secondes plus tard la porte Nord vola en éclats tuant les deux sentinelles qui la gardaient. Trois hommes en combinaison néoprène firent irruption et commencèrent à arroser les trois autres sentinelles. Une fut tuée rapidement, mais les deux autres se protégèrent derrière une table retournée à la hâte. Les commandos marine trouvèrent refuge derrière les poteaux de soutien de l’entrepôt. La belle Carmen se précipita vers les deux sentinelles et leur hurla : 

" -Couvrez-moi, je vais vous chercher du renfort !! ". 

Arrivée à leur hauteur elle les tua de deux balles dans la tête, puis fit un signe de tête aux commandos marine et courra vers Dubreuil, abasourdi. Elle le libéra rapidement et lui intima de le suivre. 

" - Fais-moi confiance Jo… On t’expliquera. 

- Oh ben tu sais au point où j’en suis, je vais pas cracher sur un peu d’aide ". Elle défit ses derniers liens, et ils précipitèrent avec les commandos en direction des Deltas Force. Un des hommes de Dubreuil lui lança un G36. 

Il coururent vers le zodiac, et embarquèrent rapidement, les premiers tirs de riposte arrivant. 

" - Fuck ! Ils ressaisissent plus vite que ce que je pensais" cria Miles. 

Quelques minutes plus tard, hors de portée des armes ennemies, le Black Hawk vint hélitreuiller les huit passagers de fortune. 


XI 

" - Et donc c’est un agent infiltré du Mossad ? répéta Joseph à son supérieur américain. 

- Elle a pris contact avec ses supérieurs dès qu’elle a appris qu’on vous envoyait là-bas. C’est là qu’on a monté en urgence une opération pour vous récupérer. Elle a dû griller sa couverture pour vous sortir de là… 

- Ah ça explique pourquoi elle ne m’adresse plus la parole depuis que nous sommes rentrés à Miami. Je croyais que c’était parce que j’étais roux… " 

FIN 







jeudi 23 février 2012

Antioche



La 98ème année du premier millénaire de notre ère, j’ai du mal à respirer. Je ne peux même pas distinguer le ciel. Au-dessus de moi s’entrechoquent les épées et les boucliers. C’est le vacarme.  Je commence à percevoir un goût chaud et salé dans ma bouche et je n’arrive toujours pas à dégager mon bras de sous cet homme. Il doit avoir tout au plus 20 ans, comme moi et me regarde. Ce Turc autrefois si fier, est presque risible à voir allongé sur le sol, une plaie béante à l’abdomen. Je crois cependant déceler une lueur de vie dans son regard, il a eu un sursaut, un peu de sang est sorti lors de la quinte de toux et je crois qu’il s ‘en est allé. Je cherche désespérément à apercevoir ce ciel, on dit que celui d’Antioche est un des plus beaux du monde. J’entends de grands bruits, on vient enfin de mettre les échelles sur les murs. Au même instant le croisé qui était au-dessus de moi s’effondre, manifestement atteint par un archer Turc. Il est tombé à côté de moi, mais à force de volonté il arrive à se relever tant bien que mal. Cependant une seconde flèche l’atteint au niveau du dos, il s’effondre sur moi. Son poids combiné à celui de l’armure est difficile à supporter, j’essaye tant bien que mal de le déplacer avec ma main libre. Cependant il parvient encore une fois à se lever, sa foi dans notre seigneur est donc bien grande. Il repart à l’assaut. En se relevant il m’a légèrement déplacé, me permettant de dégager mon bras gauche, je peux donc tenter de me retourner, et enfin apercevoir ce ciel. Mais mon armure est décidément trop lourde. Ça y est je ne sens plus ma jambe droite, les pointes des flèches y sont toujours fichées. Si je pouvais ramper jusqu’à une échelle, je pourrais peut-être m’en servir pour faire face au ciel. J’avance péniblement. Ça y est mon bassin me fait défaut, je dois perdre beaucoup de sang. J’approche de cette échelle par le côté, mais elle commence à bouger, et toute tremblante elle touche le sol, emportant ses occupants vers une mort certaine. Il me faut voir ce ciel, je ne supporte plus la vue de ce sol ensanglanté. Oh, ma vue se trouble, je n’ai plus la force d’avancer, je vais donc mourir ici. Ah si cet archer ne m’avait pas transpercé la jambe droite au moment de l’assaut… Ça y est je ne vois plus rien, j’entends toujours les sons des combats, mais ils sont atténués et résonnent dans ma tête. Je perds connaissance.
J’émerge lentement, les combats ont cessé, a-t-on pris Antioche ? À ma gauche je crois apercevoir un brancardier, j’essaye de l’appeler mais je n’arrive plus à produire le moindre son. Le temps passe, je ne saurais combien s’en est écoulé. On vient à moi, on me parle, je ne comprends rien. Je crois que l’on essaye de me retourner, je vais enfin admirer ce firmament. Ça y est je suis à présent sur le dos, je fixe le ciel.

Celui-ci est emplit de nuages, on ne peut distinguer le moindre carré de bleu.

samedi 24 décembre 2011

Lythandra


Lexique de l’univers de The Witcher (créé par Andrzej Sapkowski)

Kaedwenn : Pays dont la capitale est Ard Carraigh
Orin : Monnaie en usage en Témérie, Sodden, Ellander et à Mahakam.
Scoia'tael : Mouvement de résistance formé par les races dites « non-humaines ». Il prône l’indépendance de ses races (telles que les Elfes et Nains) qui souffrent ouvertement de racisme de la part des humains.
Wyzima : Capitale de la Témérie.




Le blanc, d’ordinaire si pur de la neige, était entaché par un sillon écarlate. L’elfe traînait le cadavre du nain depuis une bonne lieue. Depuis la forêt où elle l’avait rattrapé, on distinguait en avant du sinistre équipage la fumée issue des cheminées du village. L’elfe espérait toucher une solide récompense ; elle n’avait  comme de coutume pas trop abimé sa prise et le bourgmestre avait promis une centaine d’orins à qui se chargerait du sort de ce misérable.
Elle arriva enfin au village, et se dirigea calmement vers la mairie, même si la hutte n’était pas plus imposante  que les autres alentour.  Ce qu’elle détestait le plus était le regard des humains. Bien sûr elle faisait avant tout partie de cette race inférieure qu’étaient les « Oreilles Pointues », mais ce qui dérangeait le plus les hommes c’était son gagne-pain. Elle n’hésitait pas à écumer les panneaux des auberges à la recherche de contrats, et s’échinait à les exécuter sans éprouver aucun remords. D’ailleurs ce nain n’avait pas la moindre chance, elle pratiquait l’arc depuis qu’elle était jeune et à l’âge de 130 ans, elle ne ratait plus aucune cible.  On ne prit même pas la peine de la recevoir : le bourgmestre avait abandonné devant la porte une vieille charrette de bois. L’elfe y déposa le corps et se saisit de la bourse clouée sur le côté de la carriole.
Elle avait prévu de quitter le village dans le courant de la soirée, mais le blizzard contra ses plans. Elle décida donc, à contre cœur, de passer une nuit à l’auberge. Sur la place devant le « Poney Fringant » trônait les restes d’un elfe pendu. C’était le sort que l’on réservait à ceux qui avaient rejoint la Scoia'tael. L’elfe fit mine de l’ignorer et s’avança jusqu’à la lourde porte de bois.

Une sensation de chaleur la traversa aussitôt. Malgré la tempête au dehors, les hommes ne se laissaient pas aller. Un petit attroupement écoutait le poète ambulant qui avait été lui aussi surpris par la tempête en se rendant à Wyzima. Une autre poignée s’adonnait au pugilat dans un coin de l’auberge. Quant au reste, il savourait l’infecte bière locale. La serveuse avait fort à faire, d’ailleurs on ne comptait plus les allers et retours où la brune convoyait par train de six les choppes du breuvage ambré. Notre elfe s’assit au comptoir et commanda une bière Kaedwenne,  un breuvage beaucoup plus assimilable que ce que buvait la majorité ; elle réserva également une chambre. Un homme semblait jouer de malchance dans ses paris au pugilat. Au bout d’un moment il décida de tenter sa chance auprès de l’elfe. Il s’assit à sa droite et sorti dans le plus pur raffinement qui le caractérisait :
« C’est combien pour une nuit ? »
L’elfe ne prit même pas la peine de détourner le regard de sa pinte. Elle répondit sur un ton calme :
« - Allez au sous-sol, il y a sûrement plein de filles qui accepteront vos orins… 
- Oui, mais au sous-sol y a pas d’oreilles pointues ! » dit-il en passant ouvertement sa langue sur ses lèvres gercées par le froid.
L’elfe but une autre gorgée et enleva discrètement sa main gauche du comptoir, la ramenant sur sa cuisse gauche. L’homme quant à lui osa effleurer la chevelure acajou de la tueuse…  Cette dernière, faisant mine d’ignorer la main du goujat, repoussa violement la paume de sa main gauche vers l’arrière. Aussitôt, la tablée où était assis l’auditoire du barde vola dans les airs. Le rustre détourna son attention de l’Elfe, lui laissant le temps d’agir : elle s’éclipsa discrètement et puis gravit rapidement les escaliers qui la séparaient du premier étage. Au cours de sa longue expérience elle avait appris à éviter au maximum les ennuis, et surtout à ne jamais laisser transparaître sa supériorité. Toujours laisser croire à l’ennemi qu’il a l’avantage pour mieux le prendre au dépourvu. Mais c’était sans compter sur la promptitude du rustre qui la poursuivi. A l’étage il la suivit le plus discrètement possible dans le couloir issu de l’escalier, puis dans un autre à angle droit. Au tiers de ce dernier, l’elfe stoppa net, mais sans se retourner. L’homme laissa alors transparaître toute sa virilité dans sa phrase :
« Tu as donc compris que les elfes n’ont pas le choix. Ce soir tu vas voir ce que c’est qu’un homme, un vrai. Je suis très différent de tes faiblards de congénères ». Il continua à avancer vers l’elfe qui ne pipait mot. Elle se détendit, l’homme se pensa vainqueur. Quand il arriva à moins de deux pieds de l’elfe, elle dit, sur un ton toujours aussi froid qui le glaça jusqu’à l’os :
« C’est moi qui vais te tailler les oreilles en pointes ! »
Une seconde plus tard l’homme avait une courte épée plantée dans le bas-ventre. Puis l’assassin dégagea en un tour de main la lame elfique et trancha la carotide du malheureux, coupant court à ses gémissements qui n’avaient plus rien de viril. Elle plaça rapidement sa main gauche sur la gorge de l’homme qui était encore vivant, pour réduire le saignement susceptible de la trahir. Après avoir rengainé son coutelas, elle se saisit de la clef de la chambre attachée à la ceinture de l’homme, ouvrit la chambre n°8 et y jeta sa victime avec une force insoupçonnée. Elle verrouilla la porte à double tour et s’en alla vers sa propre chambre d’un pas décidé. L’homme eu le temps de méditer les conséquences de son acte pendant de très longues minutes, qui lui parurent une éternité.

Les rayons du soleil percèrent à travers les épais carreaux de la fenêtre. L’elfe était levée depuis un petit bout de temps et commençait à se vêtir. Elle ne portait point de cotte de maille et leur préférait une simple cuirasse en cuir ainsi qu’une paire de chausses de la même matière. Enfin elle enfila une mante vert sapin et recouvra sa longue chevelure du capuchon. La chambre ayant été payée la veille, elle put se permettre de ne pas ressortir par l’entrée principale : la neige fraiche amortit son saut du premier étage, derrière elle la fenêtre restait grande ouverte. Elle se dirigea d’un pas décidé vers la hutte du bourgmestre. A la lueur du soleil fraîchement levé elle examinait les contrats disposés sur le mur, à la recherche du nom de Marcus Vertz, néanmoins ce n’était pas la cible mais le commanditaire qu’elle s’échinait à trouver. Un de ses contacts lui avait conseillé de traiter avec lui. Il offrait un contrat à 350 orins, une coquette somme. Contrairement aux autres contrats, Marcus souhaitait rencontrer en personne ses futurs employés, il était précisé sur l’affiche qu’on pouvait le rencontrer au sous-sol du « Poney Fringant » tous les soirs. « Encore un homme qui passe sa vie au Bordel… » pensa l’elfe.

A la nuit tombée, la trappe menant à la maison close fut ouverte par un personnage agile dont le visage était masqué par une capuche de couleur vert foncé. L’elfe descendit l’échelle et tomba nez à nez avec une femme d’une vingtaine d’années, les cheveux rouge feu et un décolleté provoquant :
« - Salut trésor, une p’tite baise ?
- Pas ce soir ma grande, j’ai à faire. » dit l’Elfe en l’écartant délicatement. Son professionnalisme et sa sagesse l’empêchaient de céder facilement à de quelconques pulsions. Elle se dirigea vers une petite table ronde en bois, sur laquelle un homme vêtu de noir se délectait d’une bière et de la vue du postérieur d’une des filles. Ce dernier correspondant à la brève description faite sur l’affiche, l’Elfe lui dit :
«  - Monsieur Vertz ? Je souhaiterais me charger de votre contrat. »
Il leva lentement les yeux et répondit :
« - Une elfe ? Je vous en prie, prenez place. Je pense que c’est à vous qu’on doit la mort de Gloin ? Ça faisait pas mal de temps que ce voleur nous délestait de nos biens… Vous m’avez l’air compétente.»
Elle ne prit même pas la peine de répondre à ces compliments et déclara donc simplement :
« - Qui est la cible ?
- Quelqu’un souhaite clouer définitivement le bec de ce barde qui a fait escale ici, un certain Jaskier. Il souhaite aussi que sa disparition ne s’apprenne que le plus tard possible. Vous pouvez faire ça ?
- Oui, mais il va falloir l’approcher d’assez près et j’aurais besoin de votre aide. Je connais des plantes inoffensives qui une fois mélangées dans les bonnes proportions pourraient ôter la vie au plus endurci des guerriers, et ce même plusieurs heures après l’ingestion. Ce barde ne recherche-t-il pas quelques auditeurs ?
- Je vois que votre réputation n’est pas éhontée. Dans combien de temps serez-vous prête ?
- Demain dans la matinée… » Elle se leva et disparu dans la pénombre.

Le lendemain Jaskier était au comptoir de la seule auberge du village. Il réglait sa note et s’apprêtait à partir, la tempête s’étant enfin calmée. Soudain un homme vêtu de noir l ‘interpella. Ce dernier avait un visage rond, les yeux noisette et les cheveux bruns coupés assez court. Pas du tout le genre d’homme à vouloir la mort d’un autre, du moins en apparence :
« - J’ai appris votre départ, je n’ai pas pu être présent plus tôt, aussi auriez-vous l’obligeance de nous jouer quelque chose ?
- Ah un auditeur ! Mais vous avez dit « nous », où sont vos compagnons ? »
A ce moment l’elfe surgit d’un coin ombragé, elle ôta sa capuche, dévoilant ainsi un visage fin orné de tatouages de couleur améthyste. Ses yeux émeraude fascinaient toute personne qui scrutait son visage. Elle prit place à une table en déclarant :
« - Voyons voir mon cher Marcus si les rumeurs disent vraies sur le talent de ce barde !
- Soit, soit, prenez place mes amis, le temps de réaccorder ce Luth et vos oreilles seront charmées à jamais.
- Je vous offre un verre en attendant messieurs. » dit l’elfe en se dirigeant vers le comptoir. Elle revint quelques minutes plus tard non sans y avoir versé discrètement quelque substance. Une puis deux et trois chansons passèrent. Une fois leurs verres respectifs terminés, notre Elfe dit :
« - Que penseriez-vous de continuer ce voyage lyrique en extérieur ? Le soleil perce en ce moment même.
- Excellente idée, renchérit Marcus, je connais à ce propos une clairière fort agréable non loin du village.
- Et bien c’est entendu » dit Jaskier.

Vertz disait vrai : la clairière fut rapidement atteinte. Les auditeurs se posèrent sur deux petites pierres et Jaskier commença un nouveau morceau. L’elfe remarqua alors qu’il suait à grosses gouttes et qu’il enchaînait fausse note sur fausse note. Soudain il lâcha le luth et s’effondra telle une masse.
Quelques minutes plus tard Vertz vérifia que son cœur ne bâtait plus et dit :
« - Beau boulot ma douce, puis-je connaître votre nom ?
- On me nomme Lythandra…
- Je crois que vous avez bien mérité vos orins. »
Il lui remit ses orins et attendit qu’elle ait recompté la somme pour partir. Mais au moment de regagner le village, un petit détail retint son attention : quand il jeta un dernier coup d’œil au corps du barde il vit que ce dernier semblait respirer, il se retourna donc vers la tueuse mais là sa jambe droite refusa d’obéir. Il insista mais elle ne bougeait pas. Son autre jambe fit de même, puis ses bras. Une sensation de panique l’envahit à mesure que la paralysie gagnait tous ses muscles. Il s’effondra lamentablement par terre en respirant rapidement. Soudain un dernier muscle de son corps cessa de fonctionner : le diaphragme. Une lente asphyxie commença alors. Les yeux verts de Lythandra envahirent son champ de vision et elle dit :
« Je ne suis pas votre douce… » tout en ajoutant :
« Les affaires sont les affaires, vous le savez mieux que moi… ». La tueuse se dirigea vers le Barde et l’aida à se relever. Entre deux quintes de toux il réussit à dire :
« - Mais que s’est-il passé ? Pourquoi suis-je tombé ? Pourquoi ai-je du mal à respirer ?
- Ce sont les effets de l’élixir que je vous ai fait boire, ça devrait passer. »
Il vit alors le cadavre de Vertz :
« - Mais pourquoi ?
- Il me fallait approcher Vertz suffisamment près pour endormir sa méfiance. Vous avez de la chance Jaskier je n’ai pas reçu de contrat vous concernant, autrement vous ne vous seriez jamais réveillé…
- Merci, heu Lythandra c’est ça ?
- Appelez-moi par mon prénom, Doledrien, pas ce vulgaire pseudonyme. Allé, filez et surveillez vos arrières ! »
Il s’en alla, l’elfe fit de même mais vers le village.

Quelques jours plus tard Jaskier marchait sur un chemin de campagne dans une forêt blanchie par l’hiver quand cinq bandits lui coupèrent la route.
« - Et toi le barde, la bourse ou la vie ?
- Messieurs vous faites une lourde erreur ! Vous n’aurez rien… »
II dégaina le poignard qu’il portait à la ceinture. Un à un les bandits tombèrent… Le barde se retourna alors vers l’arbre d’où l’elfe avait bandé cinq fois son arc. Il s’apprêta à la remercier quand celle-ci banda une sixième fois son arme, dessinant une trainée de sang dans la neige fraîche. Elle avait exécuté son nouveau contrat aussi froidement que d’habitude et s’en était allée, solitaire.

FIN

dimanche 19 juin 2011

For A Room


…pouvait lire la chose suivante :


En cette froide matinée de janvier, les rayons du soleil peinaient à percer à travers l'unique fenêtre de cette pièce aux murs de pierre. Elle était assise à son bureau et réfléchissait à la suite. Elle devait avoir tout au plus 25 ans et à cet instant sa main droite était négligemment posée sur un calendrier de 1971 qui trainait là. En l'observant, on remarquait que son vernis commençait à s'écailler à force d'utiliser son Olivetti Valentine. Elle s'était en effet enfermée ici depuis la veille et on commençait à percevoir des cernes sur ses yeux émeraudes. 


L'inspiration lui manquait, sa main gauche la cherchait en vain dans ses cheveux mi-long d'un rare éclat andrinople. Elle but une gorgée de son earl grey qui avait refroidit depuis la veille et recommença à taper quelques mots sur la machine à écrire. Puis quelques phrases, manifestement elle avait trouvé ce qu'elle cherchait depuis la veille. Le soleil émergeait de plus en plus vite au rythme frénétique des retours à la lignes si caractéristiques de l'Olivetti. Au bout de deux minutes elle s'arrêta, saisit la feuille à deux mains, souffla délicatement dessus. 

Sur la feuille qu'elle tenait fermement on…

vendredi 17 juin 2011

5,56

La goutte de couleur rouge remontait lentement sur la peinture blanche du mur. Au fur et à mesure de son ascension, l'épaisseur de la trainée qu'elle formait diminuait. Puis arriva le moment fatidique où elle ne forma plus qu'un unique point au niveau d'un trou de quelques centimètres de profondeur. C'est le moment que choisit un petit cylindre de cuivre pour sortir de son trou. À peine avait t-il quitté son abri, que des morceaux de plâtre s’empressèrent de boucher l'orifice mural. Le cylindre continuait inexorablement son chemin, on pouvait même remarquer une teinte amarante sur le devant de ce dernier, teinte qui manifestement ne le dérangeait pas…

K. dormait profondément sur le sol, il avait à ses côté le cadeau que Dylan Carlson lui avait récemment offert. Il était tard, K. décida donc de se lever. La goutte de couleur rouge remontait lentement le long de son oreille. Au fur et à mesure que K se relevait tant bien que mal, l'épaisseur de la trainée qu'elle formait diminuait. Lorsqu'il fut à mi-hauteur, il décida finalement qu'il valait mieux se poser sur son canapé. Il s'y traîna tant bien que mal, saisissant au passage le cadeau de Dylan. Il l'aimait vraiment ce présent, il l’aimait tellement qu'il le sera fort contre lui, allant même jusqu'à y poser ses lèvres.

Le cylindre avait entre temps pris de la vitesse. Il croisa au passage quelques gouttes de la même couleur que celles qui tapissaient plus tôt le plafond. Au fur et à mesure de ses péripéties elles se faisaient de plus en plus présentes. Le cylindre solitaire se dit que se serait là l'occasion de se faire ses premiers amis. Mais le dilemme ne dura pas, il avait un rendez-vous important, un rendez-vous avec ses origines ! Il approchait du lieu fixé quand soudain se fut le trou noir. Il était comme dans un cauchemar, tout était noir, gluant, mais l'atmosphère s'était étrangement réchauffée. Au final cette sensation de chaleur lui fit se sentir bien: c'était la première fois depuis qu'il quittait son abri de fortune. Mais aussi soudainement que le cauchemar avait commencé, un brusque froid le tira de ses songes, un froid quasiment métallique. Sa vitesse avait encore augmenté et il se mit rapidement à tourner sur lui-même, avant d'être immobilisé définitivement: il avait atteint ses origines.

Le doigt de K. relâcha doucement la détente, posa le fusil de Dylan et sa main effleura la lettre adressée à son unique ami: Boddah.

Kurt Cobain pensa ironiquement sous l'effet de l'héroïne : "Courtney va encore me tuer…"