Oeuvre de M. C. Escher

jeudi 16 août 2012

L'atout





I

Nathan Sheppard était assis dans cette rame du métro New-Yorkais, absorbé par son journal. Il reçut un SMS, le consulta puis rangea son téléphone dans la poche droite de son manteau gris. Sa rame s’arrêta à sa station habituelle, il prit son sac à dos noir, et sortit de la station, un bonnet noir fiché sur la tête. Il changea de morceau sur son iPod, optant pour quelque chose de plus pêchu, en espérant que ça l’aiderait à supporter le froid de ce mois de décembre. Il continua à avancer jusqu’à cet immeuble entièrement vitré qu’il connaissait si bien. Après avoir franchi la porte, il se dirigea vers l’ascenseur et opta pour le 27ème étage. Juste avant que la porte coulissante ne se referme, une femme rousse entra brusquement, lui fit la bise et engagea la conversation : 

" - Bonjour Nate, pas chaud aujourd’hui ? "

Il sourit avant de répondre : 

" - Et ceux qui parlent de réchauffement climatique… Au fait tu tombes bien Juliet, pour notre petite partie de 12h, je crois que je ne pourrais pas, on peut la reporter à 18h si tu veux bien ? " 

La rousse fronça des sourcils de la même couleur et lui jeta de ses yeux verts un regard amusé : 

" - Tu as un rendez-vous quelque part ? Tu t’es enfin trouvé une fille, elle est canon au moins ? 

- Mais tu sais bien que toi seule compte ma grande !! " répliqua-t-il pour la taquiner. 

Même si Nathan se cachait derrière son humour, sa phrase recelait tout de même une once de vérité. Et il espérait que ce sentiment était réciproque, il est vrai que leurs longues parties de tarots passées avec deux autres collègues, les avaient rapprochés. 

La porte s’ouvrit au 27ème étage. Nate et Juliet filèrent droit vers leurs postes respectifs. M. Sheppard était programmeur informatique depuis bientôt dix ans. La crise économique n’avait pas épargné leur petite start-up, la forçant à se délester d’une partie de son personnel. Et les rumeurs sur son avenir allaient bon train : certains parlaient d’une nouvelle vague de licenciements, quand d’autres évoquaient un possible rachat. Des noms de grandes marques telles que Google ou Apple circulaient. Mais Nathan essayait de se voiler la face en s’enfermant dans la sécurité du train-train quotidien. 


II 

Il était bientôt midi, quand la pause déjeuner sonna. Nate se dépêcha de sortir car son temps était compté : sur son heure de libre, il lui fallait manger en vingt minutes maximum. Il opta donc pour un service de restauration rapide, puis pris un taxi en direction de Central Park. Une fois sur place, il fit quelques mètres avant de tomber sur ce qu’il cherchait : le restaurant italien semblait convenir. Il poussa la porte et interpella le réceptionniste : 

" - Excusez-moi Monsieur, je souhaiterais réserver une table pour deux personnes, pour demain soir. 

- A quel nom dois-je mettre la réservation ? demanda le réceptionniste, un stylo à la main 

- Sheppard, avec deux p. 

- Bien monsieur, bonne journée et à demain ! " 

Nate ressortit et se dirigea vers son deuxième point d’intérêt : un fleuriste. Il s’assura que des roses puissent être livrées le soir même au domicile de Juliet avec le message suivant : 

" Il faut toujours avoir un atout dans la main ". 

Il appela un taxi et se mit en route pour son boulot. En chemin il reçut un SMS qu’il consulta. 

III 

Juliet, François, Georges et Nate étaient assis dans un petit café typiquement new-yorkais. Georges avait commandé son habituelle tarte à la myrtille et Juliet son éternel thé glacé, une boisson bien inhabituelle en cette saison. Le tarot était un jeu européen assez méconnu aux États-Unis. C’était François, ce français expatrié à New-York qui leur avait fait découvrir ce jeu de cartes. Et très vite une petite communauté s’était créée, petite communauté qui jouait tout de même trois fois par semaine, et ce depuis bientôt deux ans et demi. Il faut dire qu’ils étaient tous bons amis. Cette fois-ci Juliet gagna, grâce à un atout. Ils avaient décidé d’un commun accord de ne jamais rien miser de réel, pour conserver cet esprit « amical » qu’ils appréciaient tant dans ces rencontres. Et c’est pour cela que Juliet ne toucha pas les quelques cent dollars qu’elle avait gagnés. Comme à l’accoutumée, ils se séparent : Georges et François partant chacun de leur côté tandis que les deux autres faisaient un bout de métro ensemble, ce qui n’était pas pour déplaire à Nate. 

" - On le dira jamais assez, mais heureusement que l’on ne mise rien de réel, parce qu’avec cette foutue crise… " 

Elle le regarda avec bienveillance et dit : 

" - Tu voudrais pas parler d’autre chose que du boulot ou de la crise Nate ? Le stress n’est pas vraiment bon pour la santé je te signale. 

- Oui excuses-moi. Ben j’ai justement ce qu’il nous faut, ça te dirait d’aller au restaurant Italien demain soir ? C’est moi qui t’invite ! " 

La manœuvre était risquée de sa part, mais il était quasiment sûr qu’elle accepterait et c’est pour cela qu’il avait déjà réservé. 

Elle le regarda déconcertée : 

" - Pardon ? Qu’est-ce que tu me fais ? Tu ne crois pas que c’est un poil cliché ? " 

Il ne s’attendait pas à une telle réaction de sa part et tenta donc une autre approche : 

" - En toute amitié bien sûr ". Malgré la surprise et son changement de plan, il n’avait pas bronché, c’est peut-être ce qui décida Juliet. 

Il reçut un nouveau SMS. 


IV 

Il commençait à s’impatienter. Elle avait une vingtaine de minutes de retard, mais il se bornait à l’attendre pour commander, ne serait-ce qu’un verre d’eau. Il reçut un MMS qu’il consulta. Il blêmi l’espace d’un court instant, commanda finalement un verre d’eau et repris des couleurs. Elle finit par arriver, vêtue d’une belle robe verte. C’était la couleur préférée de Nate. Elle s’assit et dit rapidement : 

" - Oh excuse-moi Nate, un problème avec le métro. La rame avait du retard… Vraiment désolée, tu me pardonnes ? " 

Il sourit, et se força à rire : 

" - Y a pas de mal, l’essentiel est que tu sois là ! 

- Tu as commandé ? 

- Non, mais le serveur nous recommande ses cannellonis, ils seraient divins. " 

Les cannellonis étaient en effet divins, tout comme la soirée. Ils discutèrent deux bonnes heures de tout et de rien. Apparemment Juliet était en train de lire un thriller assez fascinant, une sombre histoire d’agents dormants. Ça parlait de tueurs qui vivaient leurs vies normalement jusqu’à ce qu’on leur attribue une cible. Nate buvait ses paroles. Et puis vint le dessert, et l’addition. Il lui proposa de la raccompagner chez elle. Ils prirent le métro, puis finirent à pied. Arrivé devant sa porte, Nate posa son sac à dos et dit : 

" - Au fait tu as reçu mes fleurs ? 

- Tu avoues donc ton méfait ? Oui elles sont très belles. Que dirais-tu d’aller les voir à l’intérieur ? " 

On sentait une certaine excitation dans son regard émeraude. Nate quant à lui était étrangement impassible. Pour seule réponse il plongea sa main dans son sac à dos et en sorti un pistolet muni d’un silencieux.
Juliet était pétrifiée. 

Il tira deux fois, ramassa son sac et repris sa route, tout en envoyant un SMS. 

On a la confirmation de l’atout, cible éliminée. 





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