Lexique de l’univers de The Witcher (créé par Andrzej
Sapkowski)
Kaedwenn : Pays dont la capitale est Ard Carraigh
Orin : Monnaie en usage en Témérie, Sodden, Ellander et à Mahakam.
Scoia'tael : Mouvement de résistance formé par
les races dites « non-humaines ». Il prône l’indépendance de ses
races (telles que les Elfes et Nains) qui souffrent ouvertement de racisme de
la part des humains.
Wyzima : Capitale de la Témérie.
Le blanc, d’ordinaire si pur de la neige, était
entaché par un sillon écarlate. L’elfe traînait le cadavre du nain depuis une
bonne lieue. Depuis la forêt où elle l’avait rattrapé, on distinguait en avant
du sinistre équipage la fumée issue des cheminées du village. L’elfe espérait
toucher une solide récompense ; elle n’avait comme de coutume pas trop abimé sa prise et le
bourgmestre avait promis une centaine d’orins à qui se chargerait du sort de ce
misérable.
Elle arriva enfin au village, et se dirigea calmement
vers la mairie, même si la hutte n’était pas plus imposante que les autres alentour. Ce qu’elle détestait le plus était le regard
des humains. Bien sûr elle faisait avant tout partie de cette race inférieure
qu’étaient les « Oreilles Pointues », mais ce qui dérangeait le plus
les hommes c’était son gagne-pain. Elle n’hésitait pas à écumer les panneaux
des auberges à la recherche de contrats, et s’échinait à les exécuter sans
éprouver aucun remords. D’ailleurs ce nain n’avait pas la moindre chance, elle
pratiquait l’arc depuis qu’elle était jeune et à l’âge de 130 ans, elle ne
ratait plus aucune cible. On ne prit
même pas la peine de la recevoir : le bourgmestre avait abandonné devant
la porte une vieille charrette de bois. L’elfe y déposa le corps et se saisit
de la bourse clouée sur le côté de la carriole.
Elle avait prévu de quitter le village dans le courant
de la soirée, mais le blizzard contra ses plans. Elle décida donc, à contre
cœur, de passer une nuit à l’auberge. Sur la place devant le « Poney
Fringant » trônait les restes d’un elfe pendu. C’était le sort que l’on
réservait à ceux qui avaient rejoint la Scoia'tael. L’elfe fit mine de
l’ignorer et s’avança jusqu’à la lourde porte de bois.
Une sensation de chaleur la traversa aussitôt. Malgré
la tempête au dehors, les hommes ne se laissaient pas aller. Un petit
attroupement écoutait le poète ambulant qui avait été lui aussi surpris par la
tempête en se rendant à Wyzima. Une autre poignée s’adonnait au pugilat dans un
coin de l’auberge. Quant au reste, il savourait l’infecte bière locale. La
serveuse avait fort à faire, d’ailleurs on ne comptait plus les allers et
retours où la brune convoyait par train de six les choppes du breuvage ambré.
Notre elfe s’assit au comptoir et commanda une bière Kaedwenne, un breuvage beaucoup plus assimilable que ce
que buvait la majorité ; elle réserva également une chambre. Un homme
semblait jouer de malchance dans ses paris au pugilat. Au bout d’un moment il
décida de tenter sa chance auprès de l’elfe. Il s’assit à sa droite et sorti
dans le plus pur raffinement qui le caractérisait :
« C’est combien pour une nuit ? »
L’elfe ne prit même pas la peine de détourner le
regard de sa pinte. Elle répondit sur un ton calme :
« - Allez au sous-sol, il y a sûrement plein de
filles qui accepteront vos orins…
- Oui, mais au sous-sol y a pas d’oreilles
pointues ! » dit-il en passant ouvertement sa langue sur ses lèvres
gercées par le froid.
L’elfe but une autre gorgée et enleva discrètement sa
main gauche du comptoir, la ramenant sur sa cuisse gauche. L’homme quant à lui
osa effleurer la chevelure acajou de la tueuse… Cette dernière, faisant mine d’ignorer la main
du goujat, repoussa violement la paume de sa main gauche vers l’arrière.
Aussitôt, la tablée où était assis l’auditoire du barde vola dans les airs. Le
rustre détourna son attention de l’Elfe, lui laissant le temps d’agir :
elle s’éclipsa discrètement et puis gravit rapidement les escaliers qui la
séparaient du premier étage. Au cours de sa longue expérience elle avait appris
à éviter au maximum les ennuis, et surtout à ne jamais laisser transparaître sa
supériorité. Toujours laisser croire à l’ennemi qu’il a l’avantage pour mieux
le prendre au dépourvu. Mais c’était sans compter sur la promptitude du rustre
qui la poursuivi. A l’étage il la suivit le plus discrètement possible dans le
couloir issu de l’escalier, puis dans un autre à angle droit. Au tiers de ce
dernier, l’elfe stoppa net, mais sans se retourner. L’homme laissa alors
transparaître toute sa virilité dans sa phrase :
« Tu as donc compris que les elfes n’ont pas le
choix. Ce soir tu vas voir ce que c’est qu’un homme, un vrai. Je suis très
différent de tes faiblards de congénères ». Il continua à avancer vers
l’elfe qui ne pipait mot. Elle se détendit, l’homme se pensa vainqueur. Quand
il arriva à moins de deux pieds de l’elfe, elle dit, sur un ton toujours aussi
froid qui le glaça jusqu’à l’os :
« C’est moi qui vais te tailler les oreilles en
pointes ! »
Une seconde plus tard l’homme avait une courte épée
plantée dans le bas-ventre. Puis l’assassin dégagea en un tour de main la lame
elfique et trancha la carotide du malheureux, coupant court à ses gémissements
qui n’avaient plus rien de viril. Elle plaça rapidement sa main gauche sur la
gorge de l’homme qui était encore vivant, pour réduire le saignement
susceptible de la trahir. Après avoir rengainé son coutelas, elle se saisit de
la clef de la chambre attachée à la ceinture de l’homme, ouvrit la chambre n°8
et y jeta sa victime avec une force insoupçonnée. Elle verrouilla la porte à
double tour et s’en alla vers sa propre chambre d’un pas décidé. L’homme eu le
temps de méditer les conséquences de son acte pendant de très longues minutes,
qui lui parurent une éternité.
Les rayons du soleil percèrent à travers les épais
carreaux de la fenêtre. L’elfe était levée depuis un petit bout de temps et
commençait à se vêtir. Elle ne portait point de cotte de maille et leur
préférait une simple cuirasse en cuir ainsi qu’une paire de chausses de la même
matière. Enfin elle enfila une mante vert sapin et recouvra sa longue chevelure
du capuchon. La chambre ayant été payée la veille, elle put se permettre de ne
pas ressortir par l’entrée principale : la neige fraiche amortit son saut
du premier étage, derrière elle la fenêtre restait grande ouverte. Elle se
dirigea d’un pas décidé vers la hutte du bourgmestre. A la lueur du soleil
fraîchement levé elle examinait les contrats disposés sur le mur, à la
recherche du nom de Marcus Vertz, néanmoins ce n’était pas la cible mais
le commanditaire qu’elle s’échinait à trouver. Un de ses contacts lui avait
conseillé de traiter avec lui. Il offrait un contrat à 350 orins, une coquette
somme. Contrairement aux autres contrats, Marcus souhaitait rencontrer en
personne ses futurs employés, il était précisé sur l’affiche qu’on pouvait le
rencontrer au sous-sol du « Poney Fringant » tous les soirs.
« Encore un homme qui passe sa vie au Bordel… » pensa l’elfe.
A la nuit tombée, la trappe menant à la maison close
fut ouverte par un personnage agile dont le visage était masqué par une capuche
de couleur vert foncé. L’elfe descendit l’échelle et tomba nez à nez avec une
femme d’une vingtaine d’années, les cheveux rouge feu et un décolleté provoquant :
« - Salut trésor, une p’tite baise ?
- Pas ce soir ma grande, j’ai à faire. » dit
l’Elfe en l’écartant délicatement. Son professionnalisme et sa sagesse
l’empêchaient de céder facilement à de quelconques pulsions. Elle se dirigea
vers une petite table ronde en bois, sur laquelle un homme vêtu de noir se
délectait d’une bière et de la vue du postérieur d’une des filles. Ce dernier
correspondant à la brève description faite sur l’affiche, l’Elfe lui dit :
« - Monsieur Vertz ? Je souhaiterais me
charger de votre contrat. »
Il leva lentement les yeux et répondit :
« - Une elfe ? Je vous en prie, prenez place.
Je pense que c’est à vous qu’on doit la mort de Gloin ? Ça faisait pas mal
de temps que ce voleur nous délestait de nos biens… Vous m’avez l’air compétente.»
Elle ne prit même pas la peine de répondre à ces
compliments et déclara donc simplement :
« - Qui est la cible ?
- Quelqu’un souhaite clouer définitivement le bec de
ce barde qui a fait escale ici, un certain Jaskier. Il souhaite aussi que sa disparition
ne s’apprenne que le plus tard possible. Vous pouvez faire ça ?
- Oui, mais il va falloir l’approcher d’assez près et
j’aurais besoin de votre aide. Je connais des plantes inoffensives qui une fois
mélangées dans les bonnes proportions pourraient ôter la vie au plus endurci
des guerriers, et ce même plusieurs heures après l’ingestion. Ce barde ne recherche-t-il
pas quelques auditeurs ?
- Je vois que votre réputation n’est pas éhontée. Dans
combien de temps serez-vous prête ?
- Demain dans la matinée… » Elle se leva et
disparu dans la pénombre.
Le lendemain Jaskier était au comptoir de la seule
auberge du village. Il réglait sa note et s’apprêtait à partir, la tempête
s’étant enfin calmée. Soudain un homme vêtu de noir l ‘interpella. Ce
dernier avait un visage rond, les yeux noisette et les cheveux bruns coupés
assez court. Pas du tout le genre d’homme à vouloir la mort d’un autre, du
moins en apparence :
« - J’ai appris votre départ, je n’ai pas pu être
présent plus tôt, aussi auriez-vous l’obligeance de nous jouer quelque
chose ?
- Ah un auditeur ! Mais vous avez dit « nous »,
où sont vos compagnons ? »
A ce moment l’elfe surgit d’un coin ombragé, elle ôta
sa capuche, dévoilant ainsi un visage fin orné de tatouages de couleur
améthyste. Ses yeux émeraude fascinaient toute personne qui scrutait son
visage. Elle prit place à une table en déclarant :
« - Voyons voir mon cher Marcus si les rumeurs
disent vraies sur le talent de ce barde !
- Soit, soit, prenez place mes amis, le temps de
réaccorder ce Luth et vos oreilles seront charmées à jamais.
- Je vous offre un verre en attendant messieurs. »
dit l’elfe en se dirigeant vers le comptoir. Elle revint quelques minutes plus
tard non sans y avoir versé discrètement quelque substance. Une puis deux et
trois chansons passèrent. Une fois leurs verres respectifs terminés, notre Elfe
dit :
« - Que penseriez-vous de continuer ce voyage
lyrique en extérieur ? Le soleil perce en ce moment même.
- Excellente idée, renchérit Marcus, je connais à ce
propos une clairière fort agréable non loin du village.
- Et bien c’est entendu » dit Jaskier.
Vertz disait vrai : la clairière fut rapidement
atteinte. Les auditeurs se posèrent sur deux petites pierres et Jaskier
commença un nouveau morceau. L’elfe remarqua alors qu’il suait à grosses
gouttes et qu’il enchaînait fausse note sur fausse note. Soudain il lâcha le
luth et s’effondra telle une masse.
Quelques minutes plus tard Vertz vérifia que son cœur
ne bâtait plus et dit :
« - Beau boulot ma douce, puis-je connaître votre
nom ?
- On me nomme Lythandra…
- Je crois que vous avez bien mérité vos orins. »
Il lui remit ses orins et attendit qu’elle ait
recompté la somme pour partir. Mais au moment de regagner le village, un petit
détail retint son attention : quand il jeta un dernier coup d’œil au corps
du barde il vit que ce dernier semblait respirer, il se retourna donc vers la
tueuse mais là sa jambe droite refusa d’obéir. Il insista mais elle ne bougeait
pas. Son autre jambe fit de même, puis ses bras. Une sensation de panique
l’envahit à mesure que la paralysie gagnait tous ses muscles. Il s’effondra
lamentablement par terre en respirant rapidement. Soudain un dernier muscle de
son corps cessa de fonctionner : le diaphragme. Une lente asphyxie
commença alors. Les yeux verts de Lythandra envahirent son champ de vision et
elle dit :
« Je ne suis pas votre douce… » tout en
ajoutant :
« Les affaires sont les affaires, vous le savez mieux
que moi… ». La tueuse se dirigea vers le Barde et l’aida à se relever.
Entre deux quintes de toux il réussit à dire :
« - Mais que s’est-il passé ? Pourquoi
suis-je tombé ? Pourquoi ai-je du mal à respirer ?
- Ce sont les effets de l’élixir que je vous ai fait
boire, ça devrait passer. »
Il vit alors le cadavre de Vertz :
« - Mais pourquoi ?
- Il me fallait approcher Vertz suffisamment près pour
endormir sa méfiance. Vous avez de la chance Jaskier je n’ai pas reçu de
contrat vous concernant, autrement vous ne vous seriez jamais réveillé…
- Merci, heu Lythandra c’est ça ?
- Appelez-moi par mon prénom, Doledrien, pas ce
vulgaire pseudonyme. Allé, filez et surveillez vos arrières ! »
Il s’en alla, l’elfe fit de même mais vers le village.
Quelques jours plus tard Jaskier marchait sur un
chemin de campagne dans une forêt blanchie par l’hiver quand cinq bandits lui
coupèrent la route.
« - Et toi le barde, la bourse ou la vie ?
- Messieurs vous faites une lourde erreur ! Vous
n’aurez rien… »
II dégaina le poignard qu’il portait à la ceinture. Un
à un les bandits tombèrent… Le barde se retourna alors vers l’arbre d’où l’elfe
avait bandé cinq fois son arc. Il s’apprêta à la remercier quand celle-ci banda
une sixième fois son arme, dessinant une trainée de sang dans la neige fraîche.
Elle avait exécuté son nouveau contrat aussi froidement que d’habitude et s’en
était allée, solitaire.
FIN